L’assurance dommages-ouvrage avant réception, un no man’s land qui retarde l’achèvement.

La mission d’administrateur ad hoc Loi Elan en charge de l’achèvement d’opérations immobilières en carence financière intervient alors que la construction de l’ouvrage est en cours mais que le chantier est à l’arrêt. Le contexte est si inhabituel qu’il en devient parfois un « no man’s land » pour les parties prenantes du dossier, que ce soient les assureurs, les entreprises de travaux, les experts, les avocats, ou les représentants de l’administration.

En effet, l’opération AVANT réception est dans le champ contractuel alors même que l’ensemble des dispositifs d’interventions extérieures en cas de désordres, et notamment l’assurance dommages-ouvrage, sont organisés pour s’appliquer APRES réception.

Dès lors se pose la question de l’acceptation du support de nature à engager la responsabilité de tous les intervenants à l’achèvement de l’opération, l’administrateur ad hoc assumant lui-même la responsabilité de l’ensemble de la construction en sa qualité de maître d’ouvrage de substitution.

Il est donc indispensable de suspendre la reprise des travaux afin de répertorier les désordres et de mettre en jeu l’assurance dommages-ouvrage.

Qu’est-ce que l’assurance Dommages-Ouvrage (DO) ?

L’assurance DO est obligatoire dans tout projet en Vente en Etat Futur d’Achèvement (VEFA) et doit figurer nommément dans l’acte authentique de vente.

  1. Cette assurance débute « en principe, à la fin de l’année de parfait achèvement, 1 an après la réception des travaux.»
  2. Elle « garantit les malfaçons qui affectent la solidité de l’ouvrage et le rendent inhabitable ou impropre à l’usage auquel il est destiné (fissures importantes, effondrement de toiture…). Elle couvre également les malfaçons qui compromettent la solidité des éléments d’équipement indissociables des ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos et de couvert.
  3. Elle préfinance, sans recherche de responsabilité, les travaux de réparation des dommages relevant de la garantie décennale des constructeurs. Elle se tourne ensuite contre les constructeurs et leurs assureurs. »

(source : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F2032)

L’assurance DO avant réception, une exception prévue par la loi …

Or, si l’assurance DO intervient « en principe » et le plus souvent après réception de l’ouvrage, elle est pourtant bien prévue également avant réception dans les textes. Ainsi, l’alinéa 8 de l’article L. 242-1 du Code des assurances prévoit une possible prise en charge lorsque « avant la réception, après mise en demeure restée infructueuse, le contrat de louage d’ouvrage conclu avec l’entrepreneur est résilié pour inexécution, par celui-ci, de ses obligations ».

Plusieurs conditions sont nécessaires pour bénéficier d’une prise en charge par l’assureur DO avant la réception :

  • une mise en demeure restée infructueuse,
  • une résiliation du marché, celle-ci étant caractérisée ipso facto par le placement en liquidation judiciaire de l’entreprise,
  • seuls les désordres de nature décennale affectant les travaux avant leur réception sont susceptibles d’être pris en charge.

 

… mais contestée dans les faits

Dans les faits, l’assureur DO oppose souvent un refus d’intervention au motif que les marchés de travaux ne seraient pas résiliés.

Alors même que la Cour de Cassation a déjà statué sur le fait que le placement en liquidation judiciaire du promoteur constructeur initial induisait de fait la résiliation des marchés, certains assureurs DO continuent de surseoir leur mise en cause à la présentation d’un document formel de résiliation ou à la prononciation de jugement de liquidation judiciaire, au prix souvent d’un long délai de procédure.

La caractérisation des dommages, une bataille de plus

Une fois actée l’obligation d’intervention de la DO, il faut ensuite faire accepter dans le contexte d’une expertise amiable le caractère décennal des désordres à la DO et constater contradictoirement ces désordres relevés sur l’opération interrompue.

Toute la difficulté réside dans la caractérisation d’un désordre décennal par l’expert de la compagnie d’assurance DO. L’argument du désordre qui « n’entre pas dans le champ d’application du contrat » est fréquemment soulevé, y compris dans des cas évidents de malfaçons, comme des infiltrations résultant d’une étanchéité mal posée.

Ainsi, l’assurance DO objecte que les désordres sont imputables à l’arrêt du chantier et non à des défauts de mise en œuvre. Or, si l’on peut admettre que dans certains cas, l’inachèvement d’un ouvrage peut le rendre impropre à destination – une toiture incomplète donc non étanche – qu’en est-il de l’ouvrage partiellement exécuté mais déjà non conforme – par exemple une étanchéité dont l’isolant n’a pas été posée dans les règles de l’art – ?

Qui finance les désordres ?

Se pose également la question du financement étant donné que la reprise des désordres affectant l’ouvrage n’incombe pas au garant, lequel n’est tenu que de financer strictement l’achèvement de l’ouvrage. Donc, même si le garant peut accepter exceptionnellement de préfinancer la reprise des travaux, il doit pouvoir exercer son recours indemnitaire auprès de l’assureur dommages-ouvrage. Bien que ce principe soit validé par la Cour de Cassation, force est de constater que subsiste encore une certaine résistance d’assureurs DO qui nécessite d’engager des procédures.

La question de savoir qui finance est loin d’être neutre : il arrive en effet que la part financière de reprise des désordres puisse se chiffrer en millions d’euros et ainsi dépasser le budget global des travaux initialement prévus.

Le temps long des procédures

L’administrateur ad hoc se heurte à une autre difficulté dans l’exécution de sa mission face à un ouvrage affecté de désordres significatifs : les délais de procédures !

En effet, le code des assurances oblige le maître d’ouvrage à effectuer une déclaration amiable de sinistre auprès de l’assurance DO avant toute action judiciaire.

C’est donc à minima trois mois de procédure amiable en DO qui neutralisent toute intervention de reprise, période qui inclut l’ouverture du dossier après réception de la déclaration, la désignation d’un expert, le premier rendez-vous d’expertise, la rédaction du rapport d’analyse de l’expert (parfois seulement un pré-rapport), la proposition d’indemnisation (qui doit survenir dans le délai légal de 90 jours) et qui dans la quasi-totalité des cas est très largement sous-estimée par l’expert de la compagnie DO.

Face à cette situation, l’administrateur ad hoc est presque systématiquement contraint après cette phase amiable de déclencher une expertise judiciaire pour faire constater contradictoirement les désordres et établir les responsabilités, avec l’incidence pénalisante des délais de procédure.

Ces délais bien trop longs sont incompatibles avec l’urgence d’intervenir sur un chantier à l’arrêt du fait de toutes les problématiques techniques qui en résultent (sécurité du chantier et des avoisinants, pérennité des existants, …).

Sans compter les conséquences morales et financières subies par les acquéreurs, parfois contraints d’attendre plusieurs années leurs logements.

Comme souvent dans la pratique, il y a un décalage entre les textes et leur application, entre l’intention du législateur qui veut protéger et la réalité plus complexe sur le terrain. Il serait judicieux d’engager une réflexion de tous les intervenants concernés pour améliorer le contexte de la mise en œuvre de la GFA.

Dans un prochain article, une autre notion relative à la Garantie Financière d’Achèvement (GFA) et sujette à de multiples interprétations :  l’habitabilité de l’ouvrage immobilier.

Auteur : Christophe Davezac, Chargé de missions techniques, DUCATEL

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